Après Adieu Ramasse, Yves Bourron poursuit, avec Tchao Pampa, la grande saga de Joseph, le charron de Lanslebourg ruiné par l’arrivée du chemin de fer et contraint à l’exil en Argentine. Nous retrouvons Joseph au-delà de l’Océan, dans la colonie de San José que la trilogie Les Cousins de Claude Châtelain a rendue célèbre, et chère à tous les Savoyards. Joseph a réussi, il laissera à ses trois fils une riche estancia perdue dans les espaces immenses de la pampa. Mais vieux, malade, il sent venir sa fin. Les souvenirs du pays natal l’envahissent de nostalgie. Il veut renouer le fil des deux vies qu’il a vécues, dire enfin l’homme qu’il a été. Juan, un de ses fils, sera son messager : il l’envoie dans la lointaine Savoie remplir une délicate mission de mémoire. Or l’Europe est à la veille de la première guerre mondiale. Juan arrive au pays de ses ancêtres dans l’horreur des combats, rencontre le danger et la mort en même temps que l’amour. Écartelé entre l’Argentine de sa jeunesse et la famille savoyarde qu’il se découvre, comment pourra-t-il choisir ?
Ils en parlent…
Tchao Pampa, second roman d’Yves Bourron, poursuit la grande saga commencée dans son œuvre initiale Adieu Ramasse, qui a connu un étonnant succès. En évoquant la Haute-Maurienne en 1867 à travers les aventures de Joseph, le charron de Lanslebourg, ruiné par l’arrivée du chemin de fer sur les pentes du Mont-Cenis, Yves Bourron avait choisi le temps des bouleversements de la société montagnarde, contrainte à une émigration massive. Il s’intéressait aussi au regard que l’on porte sur l’autre, telle la fascinante Sally venue d’outre-Manche. Il annonçait également l’irruption de la photographie dans le domaine de la communication.
Nous retrouvons Joseph au-delà de l’Océan. Entassés à l’avant du pont du navire le Galilée qui s’enfonce entre les rives du rio de la Plata, les passagers de troisième classe, entourés de leurs ballots, s’écrient : America ! America ! Joseph doit s’efforcer de survivre dans les tripots de Buenos Aires avant de s’implanter dans la colonie de San José, perdue dans l’immense pampa. Il partage le sort de ces millions d’émigrés qui ont quitté l’Europe, et en particulier l’Italie. Ce sont des êtres déchirés, qui ont l’impression pour la première fois de leur vie de prendre en main leur destin.
Joseph est un de ces émigrés qui ont réussi à la tête de l’estancia, mais à la veille de sa mort, le vieux patriarche éprouve la nostalgie de sa lointaine jeunesse. Si le corps des émigrés franchit sans trop de dommage la ligne de la frontière, le cœur, lui, reste au pays natal. Joseph choisit un de ses fils, Juan, pour lui confier une délicate mission à entreprendre dans cette Europe qui va se déchirer lors des combats de la première guerre mondiale.
Yves Bourron évoque le Soleil de Mai, ce symbole qui rayonne au centre du drapeau argentin. Il a été choisi par les républicains indépendantistes pour effacer les souvenirs de la couronne d’Espagne. Choisi ou volé aux indigènes ? On connaît certes la place centrale de l’astre solaire dans la vie et dans la cosmologie des Indiens, mais que reste-t-il de la civilisation indienne sur les terres du Nouveau Monde ? L’amitié qui lie le patriarche à son vieux peone Couraca n’échappe pas au rapport de domination entre le maître et le serviteur.
À un siècle de distance, Yves Bourron nous interroge : quel regard portons-nous sur ces hommes venus d’Afrique, d’Asie, du Moyen Orient, qui s’efforcent, sur de frêles esquifs, de débarquer sur nos rivages ? Le temps des migrations reste toujours celui de la rupture, de la douleur, mais aussi de l’espoir et de la liberté. Comme l’écrivait Jean-Paul Sartre : « L’étranger, c’est aussi l’homme parmi les hommes. C’est enfin moi-même par rapport à moi-même.
François Forray, membre de l’Académie de Savoie.