1901, Simon quitte sa Savoie natale pour aller porter la Bonne Nouvelle en Afrique. Quand d’autres veulent apporter la civilisation par le sabre ou le goupillon, Simon y rencontre un peuple, les Mossi, qui vivent leur histoire depuis des siècles et le poussent à mettre en perspective les Saintes Écritures. Yves Bourron nous présente, dans toutes ses facettes, à travers une riche galerie de portraits, la tumultueuse rencontre des religions qui cohabitent ou s’affrontent, des militaires qui conquièrent au nom de la patrie, de l’administration kafkaïenne et des pouvoirs locaux traditionnels.
Les souffrances de la violence coloniale émergent et s’exaspèrent quand elles ne sont ni reconnues ni soignées et ne se libèrent pas dans la même projection vers l’avenir. C’est pourquoi BURNOUS BLANCS, qui s’abstient de toute leçon explicite, nous touche plus qu’un manuel d’histoire.
Ils en parlent…
BURNOUS BLANCS n’est pas un manuel d’histoire coloniale ou d’ethnologie africaine, même si ce récit poignant se déroule dans un cadre historique et anthropologique très documenté ! C’est avant tout un récit qui rapporte subtilement et sans jugement, la vie quotidienne des premiers Pères Blancs venus apporter la Bonne Nouvelle dans cette partie de l’Afrique encore appelée au début du 20e siècle « Haut Sénégal et Niger », précisément dans cette partie qui deviendra Haute-Volta après la Grande Guerre puis, au temps de SANKARA, le « Burkina Faso » ; ils étaient blancs oui, barbus selon des conventions non écrites, vêtus d’une gandoura et d’un burnous blancs ; contrairement à ce que nous rapportent les hagiographies coloniales, ils ne pensaient pas la même chose de leur mission et en parlaient différemment entre eux jusqu’à s’affronter durement ; les uns étaient plein d’inaltérables certitudes sur leur devoir d’évangélisation, d’autres dévorés de scrupules sur la légitimité de « brûler des idoles des sauvages », alors que les coutumes traditionnelles n’étaient que l’expression d’une foi et d’une transcendance aussi respectables que la leur. Les uns proscrivant tout dialogue avec les « sorciers », les autres cherchant à les rencontrer pour établir un échange à égalité. Faut-il tester les relais du pouvoir colonial qui s’installe et qui pourtant les combat au moment des lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, faut-il être les complices des exactions dont ils sont témoins ? La mission civilisatrice de leur patrie est mise en doute chez le principal personnage de ce récit, le Père Simon, quand il s’agit de bousculer dans leurs croyances et leurs pratiques des populations qui ont leur propre foi. Là où le Pesimon cherche des liens entre les épisodes bibliques et les cosmogonies locales, les sacrifices rituels et celui d’Abraham, ses confrères n’ont aucune hésitation à propager une religion révélée « qui apportera le salut des âmes et le progrès dans la vie matérielle des païens encore barbares »
Ces hommes divisés partageaient la même générosité, le même désintéressement et la même pauvreté que leurs ouailles. Ils sont morts sur place en grand nombre des mêmes maladies : « si vous voulez voir des missionnaires, allez voir notre cimetière » s’entend dire vertement par un père blanc un administrateur zélé plutôt partisan de l’expansion d’un Islam plus contrôlable par le pouvoir colonial.
Yves Bourron porte en lui depuis longtemps cette problématique si actuelle du choc, souvent au moment des conquêtes coloniales, entre les cultures et le prix que l’Occident doit encore en payer. Il l’a mesuré sur place comme jeune enseignant au tout début de l’Algérie indépendante. Il l’a poursuivi dans des biographies à la fois exigeantes et bienveillantes de pionniers de luttes libératrices au Maghreb et en Amérique latine ou dans une saga romanesque en trois volumes sur l’épopée de familles paysannes de Haute Maurienne exilées par la pauvreté en Argentine (les migrants économique, Français à l’époque !). La troisième génération luttera de l’intérieur contre le système colonial fermé en Algérie.
Avant de remonter aux sources du mouvement missionnaire au début du 20e siècle, Yves Bourron en avait exploré les traces dans l’Eglise Burkinabé d’aujourd’hui au travers du récit de vie de Joseph Mukassa « Mon combat pour la terre » paru chez Karthala : cet abbé burkinabé, évoque longuement l’acculturation terrible qu’il a dû subir, comme une totale dépersonnalisation, tout en revendiquant en final sa fidélité à l’Eglise Universelle. Beaucoup plus tôt, en 1968, c’est aussi Yves Bourron qui avait nourrit dans sa rédaction finale l’enquête en sociologie de Raymond Deniel S.J. Islam et Christianisme à Ouagadougou ; à cette occasion il avait pu dépouiller les diaires, ces journaux que chaque responsable d’une mission devait s’astreindre à rédiger : mine précieuse qui a nourri ses personnages cinquante ans après.
Ces histoires de vie dans les communautés chrétiennes naissantes au pays des Nabas, nous parlent donc d’aujourd’hui : les souffrances du viol colonial émergent et s’exaspèrent quand elles ne sont ni reconnues ni soignées et ne se libèrent pas dans la même projection vers l’avenir. C’est pourquoi BURNOUS BLANCS qui s’abstient de toute leçon explicite nous touche plus qu’un manuel d’histoire. Le livre ouvre en outre des voies discrètes et fécondes d’approches théologiques qui établissent reconnaissance et respect et donc intégration des formes primitives d’expression de la transcendance et d’ouverture vers l’universel. C’est ce qui est d’ailleurs arrivé : par un retour de choses qui n’étonnera que les idéologues lisant l’histoire à sens unique, combien de paroisses en Europe ont retrouvé vie et rythme avec de nouveaux missionnaires venus du Sud.
Ajoutons que l’auteur fait une nouvelle fois la preuve de son talent littéraire dans l’évocation de la vie d’un territoire qu’aucun historien ne pourra contester : à nouveau nous sommes transportés dans des évocations sensorielles puissantes (les couleurs, les odeurs, les sons, les corps qui attirent aussi les hommes ayant fait vœu de chasteté), la lecture des vies intérieures et des mouvements des âmes, la qualité des dialogues comme des non-dits ou des presque dits entre des hommes réunis loin de leur terre natale, obligés de vivre et de travailler ensemble et partageant une culture d’enfouissement des conflits par le devoir d’obéissance.
On ne dira rien de la fin et du choix du Pésimon, épilogue plus que symbolique de ses tourments et d’une « sortie par le haut » au moment de la Grande Guerre ; son destin nous donne un précieux message : sans changer la grande histoire, il est toujours possible de traduire en action ses valeurs, en tout cas de sauver sa part d’humanité quand un système ou une institution les corrompent.
Simon, Julien, Philippe, Marie-Bernard, Emilie, Samia, Gabriel, Wanda, Bambara, Koudwango le « sorcier », vous habiterez longtemps l’esprit de ceux qui vous rencontreront et nourrirez leur parcours d’homme debout.
Jean-Loup Salètes, Fondateur du cabinet TERANGA