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Ici, sur les pentes du Mont Cenis, toute une civilisation du passage s’est développée. Le mot ramasse évoque à la fois l’audace des passeurs et la prospérité du pays, même si le vieux sentier en zigzag n’est plus parcouru qu’en hiver par quelques traîneaux, depuis que la nouvelle route impériale déploie ses larges rampes dans la forêt de mélèzes. La chanson de la route n’a plu le moindre répit. «  Dans la Haute Maurienne, d’aujourd’hui, vous rencontrerez toujours des Sally, des Etienne et des Joseph, des êtres à la recherche de vraies valeurs, des êtres déchirés entre la tradition et le progrès, des personnages attirés par l’autre et par l’ailleurs. » François Forray, Président d’honneur des Amis du Mont Cenis.

 

Ils en parlent…

1867. La Savoie vient à peine d’entrer dans la nation française mais, là-haut, au bord de la vallée de l’Arc, deux mondes s’affrontent depuis quelques années déjà. Les hommes, qui depuis des siècles aident les voyageurs à franchir le col du Mont-Cenis, assistent impuissants à l’invasion des ingénieurs et des ouvriers qui installent des voies ferrées et creuse des tunnels. « Adieu Ramasse » retentit comme un cri de dépit de tous ces montagnards qui vivaient du passage et qui, brutalement, s’aperçoivent qu’ils n’ont plus d’avenir. L’arrivée du chemin de fer dans la montagne c’est beaucoup plus qu’une invasion technique, c’est l’irruption du monde de la plaine qui vient briser une civilisation locale, brillante mais fragile.

1867. Modane ne constitue encore qu’un modeste village, replié autour de son clocher effilé mais un peu plus bas aux Fourneaux, dans le vacarme des compresseurs et sous les nuées de fumée, des milliers d’ouvriers s’agitent sur le chantier du tunnel de Fréjus. En fait, les rumeurs de chantier ne parviennent guère jusqu’à Lanslebourg où l’on espère bien que le percement du tunnel, commencé depuis bientôt dix ans, ne sera jamais achevé ! Un jour ou l’autre, la montagne se vengera de l’offense et bientôt, les piémontais seront ruinés par les coûts exorbitants de travaux titanesques.

Non, pour l’instant, l’enfant chéri du passage reste Lanslebourg. Le village superbe – avec ses deux églises – s’est blotti au pied du Mont-Cenis comme un port de la montagne accueillant qui ont traversé l’océan des hautes terres. Ici, toute une civilisation du passage s’est développée. Le mot « Ramasse » évoque à la fois l’audace des passeurs et la prospérité du pays, même si le vieux sentier en zig-zag n’est plus parcouru en hiver que par quelques traineaux depuis que la route impériale déploie ses larges rampes dans la forêt de mélèzes…  Ici, la chanson de la route n’a plus le moindre répit. Tous les jours les diligences crissent sous les dalles de schiste, les postillons pressés sonnent du cor, les chevaux hennissent sous les voutes des écuries, les tintements de grelot annoncent l’arrivée à pas lents des convois de mulets. Taverniers, aubergistes, charrons, guides et porteurs, tout le monde à Lanslebourg vit des échanges entre les deux versants du col. Ne parle-t-on pas quatre langues par nécessité professionnelle ? Pour l’instant, le village est soumis au vent de l’affairisme et le curé se plaint amèrement : les jeunes ne prennent même plus le temps d’aller à la messe !

Pour l’instant mais pour combien de temps encore ? Ne voilà-t-il pas qu’une compagnie anglaise voudrait faire passer un train à plus de deux mille mètres d’altitude ? Le bon sens dit que c’est folie et pourtant John Fell semble bien près de réussir ce pari insensé.

Yves Bourron retrace pour nous cette vaste épopée de la Haute-Maurienne. Deux personnages symbolisent cet affrontement : Joseph, le charron du village et Sally Fell, la fille de l’ingénieur, que la passion de la botanique a conduit sur les pentes du Mont-Cenis. Quant à Etienne, le photographe, il est venu chercher le calme et la paix de la montagne et il se trouve confronté à une grande aventure technologique.

Au-delà du roman, on reste très frappé par la permanence de situations et des personnages. La chanson de la route a cessé depuis bien longtemps mais les perspectives du développement économique de la montagne n’ont pas fondamentalement changé. Dans la Haute-Maurienne d’aujourd’hui, vous rencontrez toujours des Sally, des Etienne et des Joseph, des êtres à la recherche de vraies valeurs, des êtres déchirés entre la tradition et le progrès, des personnages attirés par l’autre et par l’ailleurs.

François Forray, membre de l’Académie de Savoie.